don't blame me, love made me crazy (tobby)

Non, elle ne comprenait pas. Pourquoi Tobby s’obstinait-il à vouloir la retenir tout en lui faisant comprendre qu’il ne voulait pas risquer de souffrir à nouveau ? Jenny lui avait ouvert son cœur et son âme, lui avouant des sentiments toujours existants. S’il n’avait rien dit de son côté, se bornant à lui répéter qu’elle n’était fautive en rien de tout ce qu’il s’était passé entre eux, ses actes n’en parlaient pas moins pour lui. Il ne voulait pas la faire souffrir, mais était-il conscient que c’était déjà chose faite ? Le contact de sa main sur sa joue la brûlait, et elle se mordit la lèvre inférieure pour ne pas hurler. Elle se moquait bien de ce qu’il pouvait avoir à lui offrir ou non. Tout ce qu’elle voulait, c’était lui. « Je… Tobby, seigneur… arrête s’il te plait. » Elle s’écarta, résistant à l’envie de s’enfuir en courant avant de s’effondrer sous ses yeux. « Je n’ai pas l’intention de m’imposer à toi ou de te forcer à quoi que ce soit. Mais par pitié, arrête de me mettre sur un piédestal. Je me moque de ce que tu peux avoir à m’offrir ou non, je ne mérite rien en particulier. » Tout ce qu’elle voulait à cet instant précis, c’était lui. Son amour. Mais visiblement, il n’était pas prêt à le lui offrir pleinement. Tout le reste n’était que prétexte à soulager sa conscience.

« Je souffre déjà, Tobby. Mais je ne veux pas me réveiller un matin en me demandant encore et encore ce qu’il aurait pu advenir de nous deux. Je me suis déjà trop souvent posé cette question. » Mais de toute évidence, Tobby n’était pas prêt de son côté. Et elle ne souhaitait absolument pas le forcer à quoi que ce soit. « Je sais que tu n’as jamais eu l’intention de revenir ici, je sais que tu ne souhaites pas rester… mais pour l’instant tu es là. Et moi aussi. Et j’ai réalisé une chose : je préfère vivre le véritable amour durant un temps limité plutôt que de m’engager dans une relation à long terme sans aimer. » D’où sa décision de rompre ses fiançailles avec James tant qu’il était encore temps. Rendre sa liberté à ce dernier serait le meilleur service qu’elle pourrait lui rendre. Pour le coup, il méritait mieux. Il méritait une femme qu’il l’aime vraiment, et non une fiancée qui était toujours amoureuse de son ex. « Mais si tu préfères qu’on en reste là… je respecterais ta volonté. » Même si cela lui déchirait le cœur. « Je vais aller me rhabiller. » Elle ne pouvait plus rester là, face à lui, vêtue d’un t-shirt beaucoup trop grand pour elle, à moitié nue. Trop vulnérable.

Il la laissa s’éloigner, bien conscient que ses gestes ne s’accordaient pas avec ses paroles. Il mettait de la distance, et pourtant il cherchait à la réduire, tantôt en la retenant par le bras, tantôt en caressant délicatement sa joue. Ce beau visage dont il avait rêvé un nombre incalculable de fois et qui se trouvait désormais là devant lui. Elle lui demandait d’arrêter de la mettre sur un piédestal, mais c’était pourtant devenu une habitude. Jenny avait toujours été sur un piédestal, même si elle lui avait brisé le coeur, même s’il avait été en colère contre elle durant tant d’années. Elle disait se moquer de ce qu’il avait à offrir, mais il n’en était pas si sûr. Sur l’instant, c’était sans doute ce qu’elle pensait, mais à moyen long terme, elle aurait sûrement d’autres envies, d’autres projets. Alors, serait-ce l’aider de la laisser mettre sa vie entière entre parenthèses le temps de leur histoire, vouée probablement à l’échec à un moment donné ? Serait-ce bien de la laisser rompre avec ce James, avec qui elle était fiancée, et qui la rendrait sans doute bien plus heureuse que lui ? Il retint une grimace quand elle lui indiqua qu’elle souffrait déjà. C’était ce qu’il avait voulu éviter : qu’ils ne souffrent. Et c’était de sa faute. Il aurait dû se contenter de la ramener chez elle la dernière fois. Il aurait dû ne pas lui ouvrir aujourd’hui. Mieux encore, il aurait dû déjà quitter Kanab.

Ses mots avaient du sens, et il la comprenait. Seulement, c’était aussi prendre le risque de trop s’attacher l’un à l’autre, une nouvelle fois, même si leurs sentiments étaient toujours présents. Et puis, vingt ans s’étaient écoulés, et ils avaient changé. Ils n’étaient plus le Tobby et la Jenny d’autrefois, alors, peut-être se rendraient-ils compte qu’ils ne se correspondaient plus… c’était alors prendre le risque de finir le cœur brisé, en miettes, encore une fois, et ainsi que l’image qu’il se faisait d’eux ne prenne définitivement fin. Il avait besoin de cette image, de cet idéal derrière lequel il s’était toujours caché. « Je… Je suis désolé, Jen. » fut tout ce qu’il trouva à lui dire, ne cherchant pas à la retenir une nouvelle fois. Le coeur battant, le visage fermé pour masquer une douleur qu’il voulait pourtant ne plus ressentir. « Je ne sais pas si je serai capable de te donner ce que tu attends, même sur un temps limité. » lâcha-t-il bien conscient du poids de ses mots qui sonneraient sans doute le glas de leur histoire ce soir.

Je suis désolé Jen. L’intéressée s’immobilisa un bref instant, se tournant pour le regarder. Elle ne doutait pas un seul instant que ces mots furent sincères. Mais cela ne suffisait pas. Cela lui paraissait même totalement dérisoire aujourd’hui. Le cœur serrée, elle regarda son visage aux traits désormais fermés. Tobby jugea bon d’ajouter qu’il ne savait pas s’il serait en mesure de lui donner ce qu’elle attendait, même sur un temps limité. « Vraiment ? » répliqua-t-elle, sans chercher à dissimuler l’amertume dans sa voix. « Ou bien es-tu trop lâche pour assumer ce que tu ressens ? ce que tu souhaites ? » Bon, elle était relativement injuste sur ce coup-là.  Ou pas. Après tout, elle avait eu la force de le laisser partir pour son bien, à l’époque, malgré l’amour qu’elle éprouvait pour lui. Même si elle n’était pas certaine d’avoir cette même force aujourd’hui, elle ne cherchait pas à fuir les sentiments qu’il lui inspirait. Quitte à souffrir ensuite. « Ou alors tu as réellement tiré un trait sur notre histoire. » Cette fois-ci, ce fut la tristesse qui transparu dans son intonation. « Par pitié Tobby, ne cherche pas de faux prétexte pour te justifier… ne cherche pas à me ménager non plus. Je vais considérer cette nuit comme notre nuit d’adieu. On aurait pu faire pire. »

La gorge nouée, elle se força à relever fièrement le menton avant de monter les marches de l’escalier menant à la chambre, afin de récupérer ses affaires, le plus dignement possible. Seigneur, pourquoi était-ce aussi difficile ? Pourtant, après toutes ces années, elle aurait du être capable de conserver une distance affective avec Tobby, avec cette situation. Elle était fiancée, elle avait construit sa vie sans lui. Alors pourquoi avait-elle autant mal ? Faisant fit des larmes brulantes qui coulaient le long de ses joues et l’aveuglaient, elle entreprit de ramasser ses affaires et de se rhabiller. D’un geste rageur, elle passa le revers de sa main sur ses joues pour les essuyer, tout en reniflant. Elle se maudissait pour sa faiblesse, et elle maudissait pour Tobby pour la sienne. Mais qu’espérait-elle au juste en venant ici ce soir ? Elle aurait mieux fait de le fuir, dès le départ. Une fois vêtue décemment, elle inspira profondément. Elle devait encore redescendre, affronter une dernière fois Tobby en récupérant son sac et son chien, et quitter cette maison, définitivement.