don't blame me, love made me crazy (tobby)

Nichée contre Tobby, son visage dans son cou, elle reprenait lentement son souffle et ses esprits, tandis que ses pulsations cardiaque étaient totalement erratiques. Jenny n’avait aucune envie de bouger, ni de rompre leur étreinte. Elle était tellement bien là, dans ses bras, sentant son myocarde cogner fort contre sa poitrine, au même rythme affolé que le sien, consciente qu’ils venaient de vivre un moment magique, et que le retour à la réalité en serait d’autant plus difficile. L’esprit encore embrumé, alanguie, elle refusait d’ouvrir les yeux et d’affronter cette réalité, pour le moment, dans l’espoir de faire durer ce moment un peu plus longtemps. Plus tard viendrait, bien assez tôt, le temps des questions et des décisions. Une chose était sûre : elle ne regrettait rien.

Ses mains qui parcouraient son corps avec intention, il goûtait à sa chair avec plaisir, transporté par ces sensations qu’il pensait avoir perdues à jamais. Il n’y avait que Jenny qui pouvait le faire trembler d’amour à ce point, de désir pour elle. Pas une seule n’avait réussi à lui donner un tel plaisir. Il avait bien essayé, avait eu un nombre incalculable de conquêtes, souvent d’un soir seulement, et s’il avait appris de ses expériences, il avait toujours regretté ne pas ressentir la même ferveur qu’avec Jenny. Alors, en un énième râle rauque, tandis qu’elle criait son nom, il ne put se contenir plus longtemps et se laisser submerger par cette vague d’émotions intense, tandis que ses muscles se contractaient vivement. Il se laissa retomber à côté d’elle, les yeux fermés, tentant de comprendre ce qu’il ressentait. Sa respiration était toujours saccadée. Ses bras se refermèrent sur la jeune femme, lovée contre lui. Il se sentait apaisé après le tumulte qui s’était emparé de lui quelques minutes plus tôt. Il ne se souvenait pas d’avoir atteint une telle extase. C’était si intense ; un plaisir partagé entre deux êtres qui s’étaient toujours aimés, qui avaient tenté de passer au-delà de leurs sentiments durant plusieurs années, en vain. Il resta allongé sur le dos, son ex-petite-amie dans ses bras. C’était calme dans sa tête, bien trop calme et il savait qu’il ne perdurerait pas. Il ne voulait plus penser. Pourtant, il restait Tobby O’Malley, bien connu pour se perdre dans un nombre incalculable de pensées, même au pire moment.

Son corps collé au sien, ses mouvements si synchronisés aux siens qui lui prouvaient qu’il avait eu tort. Tort de l’avoir fuie depuis son retour, tort de ne pas être revenu à Kanab pour lui demander de partir avec lui, une nouvelle fois. Il aurait dû essayer de trouver une solution pour être avec elle. Serait-il capable de mettre ses propres sentiments envers Kanab de côté pour elle ? Mais il en oubliait presque James qui partageait officiellement la vie de sa belle Jenny. D’ailleurs, peut-être considérerait-elle cet épisode comme une erreur et retournerait dans les bras de ce dernier. Il prit une profonde inspiration ; d’abord afin que son cœur retrouve un rythme normal, et ensuite, parce qu’il voulait chasser ces pensées. Il ne voulait que profiter de cet instant, de cette bulle qu’ils s’étaient créée, hors du temps. Tobby rouvrit les yeux, il avait besoin de s’assurer que tout était réel, et que le corps qu’il tenait dans ses bras était bien celui de Jenny et non l’effet d’un mirage comme il en avait si souvent l’habitude. Rassuré, il la serra un peu plus contre lui, se permettant de finalement fermer les yeux. Il n’avait pas envie de parler, de gâcher ce moment si particulier. Il ne voulait pas dormir non plus, pas comme tous ces gars qui s'endormaient après. Mais, il se sentait si complet en cet instant, qu'il finit tout de même par rejoindre les bras de Morphée malgré lui, lui qui avait pourtant du mal à s'endormir ces derniers temps.

Jenny n’osait esquisser le moindre mouvement de peur de rompre la quiétude et la magie de l’instant présent. Elle se sentait tellement bien entre les bras de Tobby, baignant encore dans cet état second empreint de plénitude qu’avait généré leur étreinte passionnée. Plus rien ne comptait que le contact de son corps contre le sien, de ses bras autour d’elle, des battements de son cœur qui paraissaient chercher à s’aligner sur les siens. Visiblement, Tobby partageait son état d’esprit, puisqu’il ne cherchait pas non plus à bouger ni même parler. La réalité les rattraperait bien assez tôt après tout. Alors, elle se concentra sur la respiration de son amant, qui se faisait de plus en plus régulière, apaisée. Finalement, elle du s’assoupir également, car lorsqu’elle rouvrit les yeux, la chambre baignait dans l’obscurité. Tobby dormait toujours à ses côtés, la maintenant toujours contre lui. Jenny mit quelques instant avant de rassembler ses esprits, et se resituer. Son estomac gargouilla, lui rappelant qu’elle n’avait pas mangé depuis le midi. Emportée dans l’élan de leur passion, ils n’avaient pas non plus songé à diner, affamés d’autre chose que de la nourriture terrestre.

Elle remua doucement, cherchant à se lever sans pour autant réveiller Tobby. Elle résista aussi à l’envie de passer une main sur ses traits détendus par le sommeil. Elle chercha ensuite à tâtons de quoi se vêtir, mais visiblement, ses vêtements avaient du se retrouver éparpillés aux quatre coin de la pièce. Enfin, elle mit la main sur le t-shirt de Tobby, qu’elle enfila simplement. Trop grand pour elle, il lui couvrait une partie de ses cuisses. Puis, toujours avec d’infimes précautions, elle descendit les escaliers – heureusement qu’elle connaissait la maison – pour s’assurer que Orca allait bien. Elle trouva ce dernier roulé en boule dans le salon, lui aussi en train de dormir. Alors, elle se dirigea dans la cuisine et entreprit de fouiller le frigo et les placards, à la recherche de quoi concocter quelque chose à grignoter. Se faisant, elle resongea à cette soirée hors du temps. L’alchimie qui régnait entre Tobby et elle avait de nouveau fait son œuvre, avec encore plus d’intensité qu’à l’époque de leurs premiers émois. Mais si leurs corps étaient sur la même longueur d’onde, qu’en serait-il de leurs esprits ? Tobby n’avait certainement pas pour projet de rester à Kanab. Il n’était de retour que pour se débarrasser de la maison de son enfance, après la mort de son père. Elle ne pouvait décemment pas lui demander de rester pour elle. Cela faisait vingt ans qu’il avait construit sa vie loin de cette ville. Et elle ? Quels sacrifices serait-elle prête à faire aujourd’hui ? Et James ? A l’évocation de celui qui était son fiancé et qu’elle venait de tromper sans aucun regret, Jenny retint une grimace tout en préparant des sandwichs. Elle allait devoir avoir une conversation avec lui, et elle savait d’avance qu’elle allait faire souffrir un homme qui n’avait rien fait pour mériter cela. La truffe humide d’Orca contre sa cuisse manqua de la faire sursauter, et elle reporta son attention sur le chien. « Tu as faim toi aussi ? »

Il ne sut dire combien de temps s’était écoulé entre le moment où il avait fermé les yeux, et son réveil. Il tâta la place vide à côté de lui, guettant le moindre signe qui indiquerait qu’il avait rêvé ce qu’il s’était passé un peu plus tôt. Après tout, son esprit lui jouait parfois des tours, surtout depuis qu’il avait croisé son ex-petite-amie deux jours plus tôt… Il finit par se redresser sur ses coudes, ses yeux se faisant à l’obscurité de la pièce. Il dut d’ailleurs cligner plusieurs fois des yeux avant de s’assurer que non, il n’avait rien rêvé de tout cela. Seulement où était-elle ? S’était-elle enfuie de la maison tout juste après son réveil, brusquement rattrapée par la réalité ? Pourtant, lorsqu’il posa un pied par terre, il se rendit compte que ses vêtements étaient toujours là, éparpillés ici et là. Il attrapa son boxer qu’il enfila, se dirigeant vers l’escalier. Il se passa une main dans ses cheveux ébouriffés, avant de se frotter les yeux ; voilà bien longtemps qu’il n’avait pas aussi bien dormi, même si ce n’était pas longtemps. Il descendait l’escalier quand soudain il entendit une voix dans la cuisine. Son cœur s’accéléra soudainement ; elle était toujours là. Elle n’était pas partie, n’avait pas cherché à fuir ce qu’il s’était passé. Tobby se demandait ce qu’il allait advenir de leur situation, car ils avaient chacun leur vie désormais, bien différente l’une de l’autre. Elle était fiancée, vivait toujours à Kanab et avait un travail ici qui la passionnait, tandis que lui était un pigeon voyageur, se rendant de réserve en réserve au gré des besoins, sans attache, loin de Kanab comme il s’était appliqué à le faire depuis bien longtemps.Serait-il prêt à bousculer tout cela ? A prendre le risque de s’attacher quelque part et ainsi de souffrir une nouvelle fois ? Rien n’était moins sûr. Pourtant, revoir Jenny, pouvoir la sentir de nouveau contre lui avait lancé une perspective bien différente des choses…

Silencieux, il l’observa du coin de l’entrée qui semblait concentrée à faire des sandwiches. Tobby se souvint soudainement qu’il n’avait pas mangé de la journée, mais il ne semblait pas avoir plus d'appétit qu’à midi. La présence de la jeune femme dans la pièce, et les milliers de fourmillements qu’il ressentait y étaient sans doute pour quelque chose. Il finit par s’approcher doucement, ses bras entourant doucement la jeune femme, tandis qu’il vint poser un baiser au creux de son cou. Il avait oublié à quel point elle était belle, et encore plus dans l’un de ses t-shirts bien trop grands pour elle. « Je suis désolé, il n’y a pas grand-chose dans les placards. » indiqua-t-il. « J’ai eu peur l’espace d’un instant que tu sois partie d’ici... » confia-t-il après un court silence, bien que conscient que tôt ou tard elle regagnerait son cottage, et qu’ils retourneraient tous deux à leur réalité.

Lorsque les bras de Tobby vinrent l’entourer et que ses lèvres effleurèrent sa nuque, un long frisson de volupté parcouru Jenny, qui se laissa aller en arrière contre le torse de son amant, s’imprégnant de sa présence, sa chaleur, son odeur, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.  C’était un peu comme revivre une scène intemporelle que de se retrouver là, dans cette cuisine, en pleine nuit, aux côtés de cet homme avec lequel elle partageait une intimité rare. Il s’excusa du peu de nourriture dans les placards, ce qui arracha un léger sourire à la jeune femme. « J’ai trouvé de quoi survivre malgré tout. » plaisanta-t-elle, tête légèrement inclinée pour mieux accueillir son baiser. Tobby reprit la parole, lui confiant alors qu’il avait eu peur à son réveil qu’elle n’ait quitté les lieux sans mot dire durant son sommeil. Jenny posa sur le plan de travail ce qu’elle avait dans les mains et pivota entre ses bras pour lui faire face, plongeant son regard dans le sien. Délicatement, elle porta ses mains en coupe autour de son visage, savourant la rugosité de sa barbe naissante sous ses paumes. « Je suis très bien ici. Je n’ai pas envie d’être ailleurs. » murmura-t-elle, replaçant avec tendresse une mèche rebelle qui lui barrait le front. Ce qui était vrai. Evidemment, l’avenir était plus qu’incertain, et elle devrait prendre ses responsabilités vis-à-vis de James. Sans doute susciterait elle l’incompréhension de ses proches de par ses décisions, à commencer par sa mère, et par Alexander. Elle les entendait déjà la mettre en garde : « il va repartir et tu vas souffrir de nouveau. » « tu es complètement folle, vous formiez un si beau couple avec James… ». Folle, elle l’était certainement, mais de Tobby. Comment avait-elle fait pour se persuader durant toutes ces années qu’elle avait tourné la page définitivement ? Elle s’était menti à elle-même ainsi qu’aux autres. Dès qu’elle l’avait revu, ses sentiments pour cet homme lui étaient revenus en pleine face. Et lorsqu’il l’avait embrassée, cela avait balayé toutes ses résolutions. Certes, elle était consciente qu’elle allait probablement au-devant de souffrances. Tobby n’était que de passage à Kanab. Elle ne pouvait pas exiger de lui qu’il renonce à tout ce qu’il avait bâti de son côté, juste pour elle. Elle-même se trouvait toujours face au même dilemme face à sa famille. Mais pour l’heure, elle était déterminée à vivre l’instant présent, et à savourer les moments passés avec Tobby sans retenue. Des moments comme celui là même qu’ils étaient en train de partager, et elle se surprit à rêver que cela devienne leur quotidien. Elle qui rechigner tant à renoncer à son indépendance avec James, qui avait insistée pour qu’ils gardent chacun leur domicile, au moins jusqu’au mariage, aspirait soudainement à une routine à deux, avec cette même complicité et intimité. Avec lui. Avec Tobby. Les doigts glissés dans ses cheveux blonds ébouriffés, elle attira doucement son visage à elle, et posa ses lèvres sur les siennes, pour un tendre baiser. Instantanément, son sang se mit à bouillonner dans ses veines. « Tu veux grignoter un truc ? » demanda-t-elle contre sa bouche. Les sandwiches étaient toujours intacts, sur le plan de travail, sous le regard attentif d’Orca.

Il esquissa un sourire, quand elle indiqua avoir trouvé de quoi survivre. Il était vrai que ses placards n’étaient guère remplis. Il avait pris l’habitude de grignoter depuis qu’il était rentré à Kanab, notamment parce qu’il n’était pas un grand cuisinier - quoiqu’il pouvait l’être quand l’envie le prenait - et parce qu’il préférait se consacrer à cette maison, afin de pouvoir repartir rapidement. Plus vite il la retaperait, plus vite il pourrait la mettre en vente, telle était la devise qu’il suivait ces derniers temps.

Jenny se retourna, se retrouvant désormais face à lui, ses mains venant se poser sur son visage. Il venait de lui confier qu’il avait pensé l’espace d’un espace qu’elle était partie, car c’était ce qu’elle aurait pu faire après ce qu’il s’était passé. Il ne s’attendait pas vraiment à la voir dans la cuisine, à leur préparer des sandwiches quand ils venaient de remettre tous leurs projets en question ce soir-là. Qu’en serait-il d’ailleurs de ces projets ? Chacun avait sa vie, un projet d’avenir sans doute bien différent, alors qu’adviendrait-il de cette relation ? Pourtant, les mots de la jeune femme lui firent le plus grand bien. Il avait besoin d'être rassuré, de chasser toutes ces pensées qui venaient l’assaillir. Elle attira son visage à elle, et il ferma les yeux au tendre baiser qu’elle lui offrait. Il avait presque oublié la douceur de ces moments qu’ils avaient pourtant eu l’habitude de partager jadis. Bien que ces moments, à l’époque, étaient souvent interrompus par son père qui, ivre, les poussait du passage pour s’attraper un paquet de chips qui traînait dans els placards. A cette image, il en eut presque un frisson. Il voulait refaire cette maison, effacer chaque chose qui pourrait lui rappeler son père, mais il savait qu’il n’y parviendrait jamais. Ces moments étaient toujours dans sa mémoire, qu’il s’agisse des cris de leur mère quand ils se disputaient férocement, ou encore du peu de moments qu’il avait partagés avec ses parents. Fort heureusement, il y avait aussi les souvenirs qu’il partageait avec Jenny et qui lui avait permis de tenir durant cette période.

Tobby sourit contre sa bouche quand elle lui demanda s’il voulait grignoter quelque chose. Ses mains qui l’entouraient toujours, passèrent sous son t-shirt, caressant son dos. « J’ai bien une idée de ce que je veux grignoter. » dit-il, amusé, l’embrassant doucement. « Mais en attendant, je veux bien me contenter de l’un de ces sandwiches. »  

Dans l’immédiat, Jenny n’avait pas grand-chose à offrir à Tobby. Il était encore trop tôt pour des promesses qui ne pourraient peut être pas être tenues… Plus que jamais, l’avenir se présentait noyé dans un brouillard d’incertitudes. En dépit des apparences, la jeune femme était parfaitement consciente que plus rien ne pourrait être comme « avant », après cette nuit passée entre les bras de son premier amour. A commencer par sa relation avec James. James, qu’elle était en train de tromper éhontément. Il n’avait pourtant rien fait pour mériter cela le pauvre. Il était l’archétype du gendre idéal – en tout cas, aux yeux de sa mère il l’était – et serait très certainement profondément blessé lorsqu’elle lui dirait la vérité. Cependant, si Jenny était plongée dans l’incertitude concernant l’avenir qu’elle pouvait avoir ou non avec Tobby, il y avait au moins un point sur lequel elle n’avait aucun doute : elle devait rompre avec son fiancé. Ce qui venait de se passer avec Tobby était la preuve qu’elle n’aimait pas suffisamment, ou pas comme il le faudrait, James. Et il méritait mieux que ce qu’elle avait à lui offrir désormais.

Mais elle savait aussi qu’elle n’était pas en droit d’exiger ou de demander quoi que ce soit à Tobby non plus. Kanab et cette fichue baraque étaient toujours autant source de mauvais souvenirs pour lui, et elle en était consciente. S’il n’y avait eu le décès de son père, Tobby n’aurait jamais remis les pieds par ici. Se sentait-elle prête de son côté à quitter la ville, et surtout son jumeau et leur mère, pour suivre Tobby ? Sacrifier sa carrière ? L’amour entre eux paraissait intact, malgré toutes ces années écoulées où ils étaient séparés. Mais serait il suffisant, alors que vingt ans plus tôt il ne l’avait déjà pas été ? Pour l’heure elle n’avait aucun réponse à apporter à ces questions. Et fort probable que Tobby non plus. Tobby, dont les mains venaient de se glisser sous le t-shirt, caressant son dos. Jenny se serra un peu plus contre lui, savourant le contact de leurs deux corps. Elle répondit à son baiser avec un petit rire de gorge. « Vu mes talents culinaires et d’improvisation, tu as le droit de ne pas manger si c’est pas bon. » plaisanta-t-elle. Elle s’arracha doucement à ses bras pour attraper l’assiette et la lui tendre pour qu’il se serve un sandwich, et s’empara du second. Puis, elle se hissa sur le plan de travail, pour se poster face à Tobby. Elle mordit dans son sandwich, puis mangea en silence quelques instants. Finalement, l’improvisation n’était pas si mauvaise que cela.

« Je veux que tu saches que je ne regrette absolument pas ce qui vient de se passer entre nous. » déclara-t-elle de tout go, entre deux bouchées. Mais ça lui paraissait important de le préciser. Jenny vint river son regard au sien. « Je ne sais pas où ça va nous mener tous les deux… je sais pas de quoi sera fait demain mais… je sais que mes sentiments pour toi sont toujours présents. » Qu’en était-il de son côté ? Après tout, ni l’un ni l’autre n’avait prononcé les trois mots jusqu’à présent. Mais autant Tobby était libre comme l’air autant elle… elle avait une bague de fiançailles au doigt. « Et sache que je vais rompre avec James, quoi qu’il advienne entre nous. »

Tobby attrapa l’assiette qu’elle lui tendait, et ne tarda pas à croquer dans le sandwich malgré la mise en garde de son ex-petite-amie. Après un bref temps de suspens, il finit par dire : « Je valide tes talents d’improvisation. » rit-il doucement. Il n’était pas sûr de pouvoir en faire autant. Il se serait sans doute contenté de grignoter quelque chose qu’il aurait trouvé dans le frigo ou le placard, mais n’aurait pas eu le courage de faire à manger. C’était ainsi depuis qu’il était revenu à Kanab. Il ne prétendait pas être un grand cuisinier, mais il aimait bien manger, même si ses talents culinaires étaient très limités. Sans doute parce qu’il n’avait pas la patience requise. Néanmoins, il avait comme l'appétit coupé depuis qu’il était revenu dans sa ville natale. Silencieux, pour une fois, il ne pensait à rien. Au placard les états d’âme, les réflexions, les questions sur leur situation. Il aurait bien le loisir d’y penser le lendemain en bricolant la salle de bain qui était dans un mauvais état. S’il avait réussi à réparer l’évier de la cuisine, et à la nettoyer de fond en comble, les meubles restaient vieillots et en mauvais état. Il ne pensait pas que ses économies partiraient dans cette vieille maison, ni même qu’elles serviraient à payer les dettes de son père. Même après la mort, il restait une épine qu’il était difficile de se débarrasser. Est-ce que la maison valait la peine d’être sauvée ? Tobby n’en savait rien. Etait-ce une partie de son enfance qu’il essayait de sauver par-là ? Peut-être. Il n’avait jamais suivi de thérapie, malgré tout ce qu’il avait pu se passer dans son enfance, et peut-être qu’il aurait dû. Peut-être qu’il ne serait pas là à effectuer tous ces travaux, pour quoi finalement ? La vendre par la suite ? Qu’espérait-il en tirer ?

Voilà que le peu de quiétude qu’avait connue son esprit ces cinq dernières minutes s’en était allée. Jenny brisa le silence qui s’était installé et il manqua de s’étouffer avec le morceau qu’il était en train d’avaler. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle aborde le sujet, mais après tout, il avait commencé à le faire en lui confiant qu’il avait eu peur de s’être retrouvé tout seul en se réveillant, s’imaginant qu’elle serait sans doute partie. Il ne la quitta pas du regard, tandis que son coeur fut enveloppé d’un sentiment qu’il ne connaissait que trop bien, cette même chaleur qu’il avait toujours ressentie quand elle était avec lui, et qui l’avait quitté quand elle avait mis fin à leur relation. Elle ajouta cependant qu’elle allait rompre avec son fiancé. Tobby ferma quelques secondes les yeux avant de poser son assiette sur le plan de travail non loin. « Jenny… Mes sentiments pour toi n’ont pas changé, mais, je ne peux pas te demander de tout quitter. Tu as construit une vie ici, avec James. Je n’aurais pas dû revenir en ville. Et si mon père n’était pas… enfin je ne serais sans doute jamais revenu… » Que pouvait-il lui offrir, finalement ? James pouvait lui donner une sécurité, une vie stable, quand lui ne savait même pas s'il serait capable de rester en ville. Il marqua un temps de pause avant de reprendre. « Est-ce que tu l’aimes ? James. » demanda-t-il.

Au moins Tobby avait l’air d’apprécier son sandwich. Ce qu’il confirma en exprimant à voix haute qu’il validait ses talents d’improvisation. Jenny sourit en retour. Elle avait oublié à quel point elle aimait l’entendre rire. A l’époque, Tobby ne riait guère chez lui avec son alcoolique de père. Jenny s’efforçait de le divertir au maximum lorsqu’ils étaient ensemble. L’instant qu’ils partageaient actuellement était empreint de félicité, mais Jenny était consciente que la réalité les rattraperaient bien plus vite qu’ils ne l’imaginaient. C’est pourquoi elle préféra amorcer une conversation, ou tout du moins, exprimer ce qu’elle ressentait de son côté, afin que les choses soient le plus clair possible entre eux, à défaut d’être compliquées. Evidemment, elle ignorait ce qu’il en était du côté de Tobby, et attendit avec appréhension qu’il prenne la parole en retour suite à ses propres aveux. Déjà, il fut flagrant qu’il ne s’attendait pas à ce qu’elle évoque leur relation maintenant. Le cœur serré, elle observait ses traits, tandis qu’il fermait les yeux un bref instant, avant de poser son assiette à côté d’elle sur le plan de travail où elle était juchée.

Finalement, Tobby prit la parole à son tour, brisant ce silence qui s’était instauré depuis qu’elle lui avait ouvert son cœur. Lorsqu’il avoua à son tour que ses sentiments pour elle étaient inchangés, son cœur fit un bond dans sa poitrine et une douce chaleur s’épandit en elle. Cependant, il émettait des bémols, mais pas ceux auxquels Jenny aurait pensé de prime abord, avouant également que sans la mort de son père il ne serait pas revenu à Kanab. Cela, elle l’avait déjà deviné. « Tu ne m’as rien demandé, Tobby. C’est pas toi… c’est moi. » Elle posa son assiette à son tour, reportant toute son attention sur lui mais s’interdisant de le toucher pour le moment. « Je sais que si ton père n’était pas mort, s’il n’y avait pas eu cette maison, tu ne serais pas là. Je ne suis pas naïve. » Jenny se mordilla la lèvre inférieure. « Je… me marier avec James serait une terrible erreur. Ta présence ici n’a fait que m’ouvrir les yeux. Rien de plus. » C’est alors que Tobby posa la question fatidique. Aimait-elle James ? La jeune femme déglutit péniblement. Cette question, elle se la posait aussi… elle s’était persuadée depuis les débuts de sa relation avec James qu’un avenir commun était possible entre eux. Qu’elle serait heureuse avec lui. Et d’une certaine manière, elle l’avait été. Certes, ce n’était en aucun point comparable avec ce qu’elle ressentait auprès de Tobby, mais elle s’en contentait. Jusqu’à ce que Tobby ne resurgisse dans son existence tout du moins. Désormais, elle s’apercevait qu’elle s’était surtout menti à elle-même. Et James méritait mieux que ce qu’elle avait à lui apporter. « James est un type bien. D’une certaine manière je l’aime oui, mais pas comme il faudrait. Pas comme il le voudrait. » Ce qui avait engendré des tensions entre eux dernièrement, tant elle n’était pas impliquée dans les préparatifs du mariage… au point de renâcler à fixer une date définitive. « Enfin… je croyais l’aimer. Jusqu’à ce que tu débarques. » Et qu’il lui rappelle ce qu’était le véritable amour. Celui qui balayait tout sur son passage. « Ce que j’ai construit avec lui est basé sur un mensonge, et ce qui c’est passé entre nous cette nuit n’a fait que m’ouvrir les yeux sur la situation. Mais je ne te demande rien en retour. Pas si tu ne le désires pas en tout cas. » Elle voulait juste être honnête. Honnête envers James, envers elle-même et envers Tobby.

 Dire que les sentiments de Tobby à son égard n’avaient pas changé était presque un euphémisme comparé à toutes ces années d’errance sentimentale qui avaient suivi sa rupture. Son père l’aurait sans doute qualifié de fragile, lui qui pourtant ne s’était jamais remis du départ de sa femme, quoiqu’en réalité, Tobby ignorait si son père avait refait sa vie ces dernières années. Qui aurait voulu de lui ? Tobby ne savait même pas à quoi ressemblait son père en dernier, ne l’ayant pas revu depuis vingt ans. Et puis, sans doute que ce qui ne s’était pas remis du départ précipité de Mme O’Malley était son ego, parce qu’elle avait osé lui tourner le dos, à lui qui était toujours sur son dos… son souffre-douleur. Si le Tobby enfant en avait voulu à sa mère, l’adulte la trouvait courageuse, même si une part de lui lui en voulait toujours de l’avoir laissé dans cette maison. Peut-être aurait-il dû en parler à l’école, mais alors les services sociaux auraient été mis au courant et la machine se serait déclenchée. Non, malgré tout, même livré à lui-même, il pouvait faire ce qu’il voulait, sortir tard sans qu’on ne lui dise grand-chose, son père généralement endormi devant la télé, un verre à la main. Il pouvait voir Jenny comme bon lui semblait. Difficile de passer à autre chose même après tant d’années… Jenny avait été la lumière dans une vie bien terne. 

La retrouver ravivait cette lumière qu’il pensait bien éteinte. Un semblant d’étincelle s’était parfois allumé au cours de sa vie mais jamais assez pour l’éclairer. C’était sans doute pourquoi il avait choisi de la laisser éteinte et de se complaire dans cette vie sans attache et sans dilemme. Mais voilà qu’un dilemme se posait finalement par celle qui avait toujours incarné la lumière. Il ne voulait pas bousculer la vie paisible qu’elle avait mais il voulait avant tout qu’elle soit heureuse, peu importait avec qui. Il ne savait même pas s’il pouvait lui-même correspondre à ses attentes : 20 ans s’étaient écoulés et ils avaient changé. Leurs attentes aussi, sans doute. A l’époque, il était ce gars éperdument amoureux de son premier amour et avec qui il s’était imaginé après l’université entouré d’une famille. Avoir ce qu’il n’avait jamais eu. Ce rêve s’était émietté en même temps que son cœur quand elle l’avait quitté. 

Il souligna le fait que si son père n’était pas décédé, il n’aurait jamais remis les pieds à Kanab. Une vérité qu’elle n’avait pas eu de mal à deviner, comme tous ceux d’ailleurs qui avaient connu leur famille. Tobby écoutait son ex-petite-amie. Elle lui partageait ses réflexions quant à son mariage à venir et comment sa présence lui avait ouvert les yeux à ce sujet. « Il n’y a pas de hasard » lui avait-on dit un jour dans un autre contexte certes, mais Tobby devait bien reconnaître qu’il s’appliquait tout particulièrement dans leur situation. Sans doute que la vie l’avait aussi fait revenir ici pour une raison qui était autre que liée à son père. Maintenant même si Jenny choisissait de ne pas se marier avec James, l'aimait-elle ? Le blond ne savait pas vraiment à quoi s’attendre et pourquoi cette question avait franchi ses lèvres quand la réponse pouvait le blesser. Il ne pouvait que dissimuler non sans mal son soulagement quand elle lui indiqua qu’elle n’aimait pas James comme il le voudrait. Il eut presque de la peine pour ce dernier qui était loin de s’imaginer que sa belle ne partageait pas les mêmes sentiments, bien qu’il devait avoir quelques doutes à ce sujet, sa fiancée tardant à fixer une date pour sceller leur union. A sa place, nul doute que Tobby se serait posé des questions. 

« Je vais être honnête avec toi, Jenny. Je ne sais pas si je serai capable de rester ici. » confia-t-il en croisant les bras. Ils ont agi ce soir sur un coup de folie, d’un désir refoulé depuis trop longtemps. Tobby était en plein questionnement, et probablement aussi happé par cette vieille peur de souffrir de nouveau, d’être abandonné de nouveau. « Je ne regrette pas ce qu’il s’est passé ce soir et encore moins si ça t’a permis d’ouvrir les yeux sur ce que tu voulais vraiment et de prendre une décision qui te rendra plus heureuse. Mais, pour ce qui est de la suite, Jen, je ne sais pas. » Il recula légèrement, se mit en marche, faisant les cents pas dans la cuisine tout en cherchant ses mots, les bras toujours croisés comme pour se protéger. « C’est difficile aussi pour moi de tout oublier. D’oublier le fait qu’il y a vingt ans, tout s’est effondré. Je sais que c’est aussi de ma faute et que j'aurais dû te retenir et tenter de faire fonctionner notre relation autrement… mais en même temps, la question se serait posée à un moment donné, comme elle se posera de nouveau dans pas longtemps. » il se pinça les levres. « j’aime ma vie actuelle : je voyage, pas d’attache, pas de souffrance et je ne sais pas si je suis capable d’endurer ça une nouvelle fois Jen. » Il se rendait compte du bel esprit torturé qu’il lui donnait à voir. 

Jenny avait ouvert son cœur à Tobby, lui confiant sans détour ses états d’âme, notamment concernant James. Elle ne voulait pas que son ex-petit ami ne se pense responsable de quoi que ce soit dans les décisions qu’elle s’apprêtait à prendre vis-à-vis de ses fiançailles et de ce mariage qui ne verrait jamais le jour. Elle avait pleinement conscience que cette nuit ne signifiait pas une promesse d’avenir quelconque entre eux, même si ce constat lui déchirait le cœur. Mais elle avait ouvert les yeux et réalisait qu’elle se devait d’être honnête envers elle-même d’une part, mais surtout envers James, qui lui n’y était pour rien dans tout ça, mais souffrirait malgré tout des conséquences de ses actes à elle. Elle attendait uniquement en retour la même franchise de la part de Tobby à son égard. Même si cela devait lui faire mal. La réaction de ce dernier ne tarda guère par ailleurs. Croisant les bras, comme pour mettre une distance raisonnable entre eux, il prit la parole à son tour, lui confiant en premier lieu qu’il ne savait pas si il serait capable de demeurer à Kanab. Elle s’y attendait Jenny, à cet aveu, mais il piqua son petit cœur malgré tout. C’était un peu comme s’il sonnait le glas de leurs retrouvailles, d’une certaine manière.

Elle accusa le coup en silence, le laissant poursuivre. Après tout, elle s’en doutait depuis le début non ? Lui non plus, il ne regrettait rien de ce qui venait de se passer entre eux. Mais il confirmait qu’il était incertain pour tout le reste. De toute évidence, cette conversation le mettait mal à l’aise lui aussi et il se mit à faire les cent pas devant elle, en proie à une agitation intérieure. Jenny crispa ses mains sur le rebord du plan de travail où elle était toujours juchée, n’osant esquisser un geste ou prononcer un mot. La gorge nouée, elle écoutait Tobby lui expliquer à quel point cela avait été difficile pour lui vingt ans plus tôt également, à son départ. Lui aussi ressentait cette pointe de culpabilité, mettant en avant le fait qu’il aurait peut-être dû agir autrement pour leur donner une chance. Sauf qu’à l’époque ils étaient dans une impasse, et sûrement trop jeunes. Qu’aurait-il pu faire autrement ? Il ajouta qu’il aimait sa vie actuelle. Pas d’attache, pas de souffrance. Jen acquiesça lentement, comprenant dans le fond ce qu’il voulait exprimer, même si cela la mettait à la torture de devoir l’accepter. Mais qu’avait-elle espéré au juste ? Tout ce qu’il venait de lui confier, elle le savait déjà. Elle s’y était préparée non ? et elle était quand même venue le voir, même en sachant pertinemment que cela ne mènerait à rien, hormis de la souffrance supplémentaire. Alors, la mort dans l’âme, elle se laissa glisser de son perchoir improvisé. « Je comprends… » murmura-t-elle, se sentant soudainement trop dénudée. Trop exposée. Trop vulnérable, tout simplement. Tobby ne voulait pas souffrir à nouveau, elle ne pouvait pas lui en vouloir. C’était lui la voix de la raison au final. Mieux valait arrêter la casse de suite, avant de cela n’aille trop loin. Ils avaient déjà assez soufferts, tous les deux, dans le passé. « Je ne veux pas te faire souffrir à nouveau. Moi non plus, je ne peux rien te promettre, et j’aime ma vie actuelle. » Un sourire triste flotta sur ses lèvres. « Je vais aller me rhabiller. » Rester plus longtemps avec lui la mettrait au supplice et elle n’en avait pas la force, égoïstement. Elle chérirait le souvenir de leur étreinte passionnée, et se montrerait honnête avec James. Pour le reste…

 Tandis qu’il prononçait ces paroles, il n’osait pas la regarder, car il savait que ce n'était sûrement pas les mots qu’elle attendait. Pourtant, elle le connaissait, sans doute mieux que n’importe qui, même après vingt ans. Elle devait savoir au fond que c’était la réponse qu’il allait lui donner. Rester à Kanab était au-delà de ses forces, ainsi le pensait-il depuis de nombreuses années. Serait-il capable de rester dans cette ville, pour Jenny ? Ça venait contrarier ses plans qui étaient de simplement régler les affaires de son père, débarrasser la maison pour mieux la vendre. C’était sans doute aussi pour cette raison qu’il avait fait en sorte de ne pas croiser Jenny jusque-là, pour ne pas avoir à faire face à des sentiments qu’il n’avait jamais réussi à oublier, pour ne pas avoir à être confronté à un choix. Elle avait été assez courageuse pour envoyer valser son avenir avec James, alors pourquoi ne pouvait-il pas lui rendre la pareille en décidant de rester ici, et en lui promettant un avenir qu’elle méritait.

Mais c’était plus facile de se retrancher derrière cette vie qu’il avait choisie : pas d’attache, ainsi pas de souffrance. Pas de promesse d’avenir, pas de choix à faire. Son coeur ne s’était jamais remis de sa première blessure. Pourtant, il sentait que c’était déjà trop tard, rien qu’en mettant une distance qui lui devenait bien vite insupportable, rien qu’en croisant son regard blessé quand elle descendit du plan de travail sur lequel elle s’était installée quelques minutes plus tôt. Ils souffraient déjà. Il posa son regard sur elle, tandis qu’elle indiquait ne pas vouloir le faire souffrir de nouveau, et qu’elle non plus ne pouvait rien lui promettre, en ajoutant qu’elle aimait sa vie actuelle. Il acquiesça, silencieusement, mais il regretta déjà ses paroles, de l’avoir blessée malgré lui en voulant se protéger. Il était pathétique. Il avait rêvé tellement de fois de pouvoir la tenir une nouvelle fois dans ses bras, de pouvoir sentir ses cheveux doux lui filer entre les doigts, de sentir son parfum une nouvelle fois. Mais quand le rêve devenait réalité, il était perdu. Il avait peur. Et si ce rêve lui échappait de nouveau ? Il resterait seul, et cette fois-ci suffirait pour que son coeur soit scellé à jamais. Elle le sortit de ses pensées quand elle annonça qu’elle allait se rhabiller. Il sentit une pointe serrer son coeur. Cela sonnait la fin de cette soirée, de cette bulle qu’il avait aimée, qui lui avait presque redonné espoir. Pourtant, c’était à cause de lui que cela prenait fin. Parce qu’il ne voulait pas souffrir, lui qui souffrait déjà de la voir partir ainsi. « Attends, Jen. » Il l’attrapa par la main pour l’attirer contre lui et déposa un baiser sur le haut de sa tête. « Je suis vraiment désolé. » fut tout ce qu’il trouva à dire. Le cœur battant, les pensées en bataille, il ne savait plus. Il la voulait mais il ne pouvait pas. Il devait partir d’ici. A quoi ressemblerait sa vie ici ?

Qu’avait-elle espéré Jenny, en venant chez Tobby ce soir-là ?  Pourtant, elle le savait que rien n’avait changé entre eux. Non pas leurs sentiments, qui avaient perdurés malgré les années éloignés l’un de l’autre. Mais leur problématique principale. Tobby n’était revenu que pour s’occuper de cette vieille bicoque qui tombait en ruine, suite au décès de son paternel. Pas pour renouer avec elle. S’ils s’étaient retrouvés, c’était purement par hasard, un caprice du destin, rien de plus. Et elle avait été assez folle pour venir se jeter à sa tête quelques heures plus tôt. Quelle idiote elle avait été. Mais elle ne pouvait pas en vouloir à Tobby. C’était elle qui avait provoqué cette situation, pas lui. Il avait toujours été honnête avec elle. Elle ne pouvait décemment pas lui reprocher d’être franc. D’être égal à lui-même. Mais ça faisait tellement mal, bien plus qu’elle ne l’avait imaginé. Elle se pensait assez forte pour encaisser, pour assumer les conséquences, mais au final il n’en était rien. Mais elle ne voulait pas que Tobby s’en aperçoive, et culpabilise ensuite. Ce n’était pas lui. C’était comme ça, c’est tout.

C’est pourquoi elle devait s’en aller de là, mettre de la distance entre lui et elle, avant de s’effondrer. Elle avait vécu quelques heures paradisiaques entre ses bras, se prêtant à rêver à un bonheur perdu retrouvé. Mais ce n’était qu’un rêve, éphémère, et l’heure de retourner à la dure réalité venait de sonner. Son cœur serait en miettes un bon bout de temps après ceci, consciente qu’elle n’aimerait jamais aucun homme comme elle aimait Tobby. Même James ne faisait pas le poids. Mais alors qu’elle s’apprêtait à quitter la pièce avec le peu de dignité qu’il lui restait encore, Tobby la retint, saisissant sa main au passage pour l’attirer à lui. Jenny réprima un gémissement de détresse, se maudissant de sa faiblesse. Il l’embrassa sur le front, un baiser chaste, tout en murmurant qu’il était désolé. Des larmes brûlantes gonflèrent ses paupières et elle posa ses mains contre son torse pour le repousser doucement. Elle pouvait sentir les battements désordonnés de son cœur sous ses paumes. « Tobby… s’il te plait. Je… tu n’as pas à être désolé… » Seigneur, pourquoi était-ce aussi dur ? Elle sentait la chaleur de son corps près du sien, irradiant au plus profond d’elle. « Je n’aurais pas du venir… ce… c’est ma faute. » avoua-t-elle piteusement avant de relever son regard brillant de larmes contenues vers le sien. « Je t’aime Tobby. Je t’ai toujours aimé. » Mais l’amour ne suffisait pas toujours… ils en étaient la preuve vivante. « Je… je ne peux rien te promettre… ni rien exiger de toi. Mais si ma présence te fais plus de mal que de bien, il vaut mieux que je m’en aille. » Et elle, que voulait elle ? Se séparer de lui était un déchirement, alors qu’ils n’avaient partagé que quelques heures ensemble… qu’en serait-il après une plus longue durée ? Mais paradoxalement, pourquoi se priver de ces quelques instants de bonheur volés au destin, tant que c’était encore possible, entre eux ? Tant que Tobby serait à Kanab ?  

 Il était désolé. Pourquoi ? Parce qu’il n’était pas capable, ou plutôt ne se sentait pas capable de lui donner ce qu’elle attendait de lui, bien qu’elle lui ait répété qu’elle ne lui faisait aucune promesse. Il aurait dû s’en sentir soulagé. Pas d’attente. Il sentait que ce n'était pourtant pas les réponses qu’elle avait espéré entendre. Lui aussi n’avait rien promis, mais il n’aurait pas dû l’embrasser. Il aurait dû la laisser s’en aller comme elle voulait le faire. A cause de lui, ils en étaient là, dans cette cuisine, à souffrir des conséquences de leurs actes qui avaient ravivé bien plus que de simples souvenirs. Ses yeux noisette devenus brillants lui fendaient le coeur. Il avait toujours détesté la voir pleurer, et fort heureusement, il ne se souvenait pas l’avoir beaucoup vue ainsi lorsqu’ils étaient ensemble. « Non, Jen, ce n’est pas de ta faute. » la rassura-t-il, tant bien que mal. C’était de sa faute à lui, parce qu’il était revenu en ville, qu’ils s'étaient revus, et qu’elle était sur le point de tout bouleverser dans sa vie, à cause de lui. C’était de sa faute parce qu’il l’avait embrassée quand il aurait simplement dû la laisser repartir. C’était de sa faute car à cause de lui, ils s’apprêtaient de nouveau à souffrir.

Mais les mots qui suivirent eurent l’effet d’une flèche qu’il recevait en plein cœur et qui sans nul doute laisserait une plaie béante derrière elle. Une plaie qu’il panserait difficilement. Elle cherchait à mettre de la distance, et en même temps, ses mots l’appelaient. Il ne pouvait rester là à attendre qu’elle parte car il était déjà trop tard. Cette petite pointe dans son cœur qui l’empêcherait sans doute d'avaler quoique ce soit le lendemain. Il était déjà trop tard. Prenait-il le risque de bousculer son équilibre émotionnel - si on pouvait le qualifier ainsi - en la retenant ? Un équilibre déjà précaire. Il sentait que la suite ne dépendait plus que de lui ; soit il acceptait l’éventualité qu’il puisse de nouveau souffrir, soit il la laissait partir, pour de bon… Lui aussi l’avait toujours aimée, et il aimait encore. Jamais il n’avait trouvé de femme à la hauteur de Jenny. Elles étaient toujours trop ou pas assez ; elles n’étaient pas Jenny.  Sa main sur la joue de la jeune femme, un visage qu’il avait tant imaginé dans ses rêves, s’efforçant de maintenir son souvenir vivant. Pourquoi la laisser partir ? Maintenant qu’il l’avait retrouvée… « Jen… Je n’ai rien à t’offrir, et tu mérites tellement. Je ne sais pas combien de temps je vais rester, et… Je ne veux pas qu’on souffre, qu’on se lance dans quelque chose qui finira par prendre fin, et qu’on se déchire comme la dernière fois. Tu comprends ? » C’étaient peut-être des excuses pour la repousser, pour ne pas la laisser s’emparer de son coeur une nouvelle fois, bien qu’il était déjà trop tard. Il avait la mince illusion qu’il gardait encore un peu le contrôle, mais la réalité était qu’il ne l’avait déjà plus. « Je ne veux pas te faire souffrir, Jenny. »