La journée avait été compliquée ! Entre un vieux monsieur qui était tombé dans sa baignoire et s'était cassé le coccyx et la personne qui était tombée de son toit en essayant elle-même de détruire un nid de frelons... Les cas du jour n'avaient pas été des cadeaux. Ryley avait commencé ce matin, et avait à présent droit à une pause de quelques heures, avant de continuer son shift toute la nuit. Kanab n'était pas aussi calme qu'il y paraissait au niveau des urgences médicales. Il y avait toujours quelque chose qui se passait, un accident quelque part, un malade qui faisait un malaise autre part. Bien évidemment, à côté des accidents et des agressions qui pouvaient avoir lieu à Salt Lake City, c'était du gâteau pour notre cher secouriste, mais il veillait à ne pas sous-estimer les cas, et à rester concentré. Il avait quand l'impression d'avoir beaucoup moins de stress, globalement. Et c'était tant mieux. Cela lui laissait aussi le temps de gérer sa clientèle en ce qui concernait son côté médium. Pour le moment, il avait passé une annonce sur internet pour les gens du coin, mais il n'avait encore que sa clientèle habituelle qui s'octroyait des séances à distance. Ryley se disait qu'il devait y mettre un terme... A distance, ce n'était pas pareil. Il ne recevait pas bien les messages de l'au-delà, c'était insatisfaisant et la plupart des consultations se soldaient pas un échec. Et lorsqu'il y avait échec, que l'entité ne répondait pas, il ne prenait pas d'argent... Alors il était perdant.

Bon, pour le moment, le quadragénaire était bien heureux de pouvoir s'allonger un peu et roupiller afin de se préparer à ses heures à venir. Il avait hâte de pouvoir rentrer et revoir sa famille.

Alors qu'il était allongé dans un lit prévu à cet effet, à l'hôpital, son chef vînt le réveiller, lui indiquant qu'on demandait après lui à l'accueil. Il ne lui en dit pas plus. Un instant, Ryley crut que ce pouvait être la personne qui gardait les enfants, qu'il s'était passé quelque chose et qu'elle avait besoin de le contacter au plus vite. Mais dans ce cas, pourquoi n'avait-il aucun message sur son téléphone ? Il se dépêcha donc de remettre la veste de son uniforme et rejoignit l'accueil des urgences. Là, point d'enfants, point d'épouse, point de baby-sitter, point d'urgence familiale. A la place, se tenait une femme, la quarantaine, un badge et un holster accrochés à sa ceinture. Ah, la police. Que pouvaient donc lui vouloir les forces de l'Ordre ? Il venait à peine d'arriver en ville quelques semaines plus tôt. Il repassa dans sa tête les événements des dernières journées de sa vie, mais ne pensa à rien qui pourrait lui valoir des ennuis. Il avait toujours été un citoyen modèle, après tout... en tous cas depuis qu'il avait été placé en foyer.

« Euh... Bonjour, je suis Ryley Andrews... On m'a dit que vous me cherchiez ? » demanda-t-il en tendant une main dans la direction de l'inconnue. S'il avait des ennuis, autant se montrer poli, n'est-ce pas ? Amadouer son interlocutrice avec son charme. Du moins, essayer.

Après son entrevue avec Dorian Westbrook, Regan avait poursuivit ses recherches de son côté sur la secte de Joseph Andrews et ses membres. Si elle n’avait rien trouvé pour l’heure de concluant concernant le dénommé Caleb, elle avait pu en revanche découvrir que, comme elle l’avait pressenti, le gourou avait eu l’occasion d’engendrer d’autres enfants usant de son ascendant sur  les femmes qui comptaient parmi ses disciples. Mais ce qui fut encore plus troublant fut de découvrir que Kanab recelait un autre de ces enfants en son sein. Un enfant qui cette fois-ci n’avait même pas pris la peine de changer de patronyme, comme l’avait fait Dorian. Ryley Andrews. Autre fait troublant, ce dernier habitait Kanab depuis peu de temps, ayant quitté la ville vingt ans plus tôt. Cela faisait beaucoup trop de coïncidences pour que Regan ne s’y attarde pas.

L’homme en question travaillait comme ambulancier secouriste à l’hôpital local. Au moins, il ne se cachait pas et n’était guère difficile à trouver. Evidemment, cela n’était pas pour autant qu’il était blanc comme neige. Mais pour en avoir le cœur net, il fallait déjà qu’elle rencontre et qu’elle l’interroge. Selon les informations qu’elle détenait, il vivait auparavant à Salt Lake City. Sa femme par ailleurs exerçait également à l’hôpital, ils étaient mariés depuis plus de dix ans, et avaient trois enfants. En bref, une vie tout à fait ordinaire. Ou bien n’était ce qu’une façade ?

C’est ainsi que Regan se rendit à l’hôpital pour rencontrer ce fameux Ryley. A son arrivée, elle pu entrer en contact avec son supérieur, qui lui demanda de patienter quelques instants. Andrews prenait sa pause, lui avait il expliqué. Au moins, elle arrivait au bon moment, il n’était pas sur la route en mission. Elle patientait à l’accueil, observant les allées et venues autour d’elle. C’est alors qu’un homme dans ses âges se présenta à elle, en uniforme d’ambulancier. Ryley Andrews, en chair et en os. Regan serra la main qu’il lui tendait tout en le dévisageant. De toute évidence, il paraissait réellement surpris de sa venue. « Mr Andrews, oui, je voulais m’entretenir avec vous d’une affaire sur laquelle je travaille actuellement…  » Elle jeta un bref regard autour d’eux. « Y a-t-il un endroit où l’on pourrait discuter tranquillement ? » Elle n’avait pas envie de discuter de Joseph et de la secte en public, de surcroit sur son lieu de travail. Et elle était prête à parier qu’il ne le souhaitait pas non plus.

Ryley passa en revue les derniers jours et dernières semaines passées à Kanab, se demandant s'il avait vu ou fait quelque chose qui pouvait attirer l'attention de la police. Après tout, en tant que secouriste, il avait déjà eu à faire aux forces de l'ordre dans plusieurs affaires, en tant que témoin, par exemple dans des blessures ou morts suspectes, ou même dans des accidents de la circulation. Il avait même dû témoigner une fois, au tribunal, de ce qu'il avait vu en arrivant sur les lieux d'un grave accident qui avait fait plusieurs victimes. Ce n'était donc, au final, pas si étonnant qu'on vienne le voir. Ce qui était plus étrange, par contre, était que son supérieur hiérarchique avait été incapable de lui dire ce qu'on lui voulait. D'habitude, la police passait par un courrier pour le convoquer, ou téléphonait directement, personne ne s'était jamais déplacé. Encore moins directement sur son lieu de travail. Il en conclut que cela devait être pour traiter d'un point très important.

Bon, on prend une grande inspiration et on se présente. Il s'approcha donc, affichant un sourire avenant et lui serra la main. Un endroit où ils pourraient s'entretenir en privé ? Son cœur se mit donc à battre plus rapidement dans sa poitrine. Ce ne devait pas être une affaire de routine ou une question à propos d'un accident de la circulation si elle voulait le voir en privé... Si c'était le cas, cela voulait dire qu'elle venait discuter avec lui de quelque chose qui le concernait directement, et qui ne devait pas tomber dans les oreilles de son collègue. Au moins, cette femme était assez respectueuse pour ne pas l'afficher devant tout le service, même si rien que le fait que la police le contacte, lui, le petit nouveau, était déjà mauvais signe d'après certains. Dans tous les cas, il n'avait rien à se reprocher, alors il n'avait pas de raison de se sentir oppressé ou stressé. Il n'avait jamais rien fait de mal, vraiment. En tous cas, rien qui ne pourrait faire agir les autorités !

« Euh.. Oui, suivez-moi ! » répondit-il après un petit temps de silence, durant lequel il lutta contre son anxiété. Il ne devait pas la laisser poindre, sans quoi il deviendrait un véritable moulin à paroles. Il ferait très certainement perdre son temps à cet agent de police, mais surtout, il semblerait suspect. Les gens qui parlaient beaucoup semblaient toujours suspects. Et pourtant, bien qu'il le sache, il ne pouvait pas s'en empêcher... Son uniforme de secouriste était comme un bouclier. Lorsqu'il le portait, il se sentait différent, il était dans l'esprit du travail, il était un autre homme.

D'un pas certain et rapide, il la mena dans un box libre, qui était actuellement inutilisé. Et vue la fréquentation des lieux, il le resterait sans doute encore longtemps. Il l'invita à s'asseoir, si elle le désirait, mais lui resta debout, s'adossant à un bureau présent dans les lieux.

« Alors, de quoi vouliez-vous me parlez, Madame.... ? Je ne crois pas avoir retenu votre nom.... » S'était-elle seulement déjà présentée ? Non, peut-être pas encore.